Le récent rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec, SR 15), en se centrant sur les deux scénarii de réchauffement où la température moyenne globale ne s’élèvera que de +1,5°C et +2° par rapport aux niveaux préindustriels, et en présentant les conditions auxquelles ils sont réalisables, contourne le problème et en amoindrit paradoxalement l’urgence.

Ce qui est en effet en jeu, c’est que notre trajectoire actuelle basée sur les dernières décennies d’augmentation de CO2 laisse résolument derrière elle ces cibles. Elle nous mène de fait à un réchauffement de +3 à 5 degrés, ce qui doit susciter en chacun de nous, citoyen mondial, une réaction de survie, nous conduire à exiger de nous et de nos dirigeants une action sans délai. Remarquons que ce rapport comparant les conséquences d’une hausse de 1,5° à celles de +2° répond à une «commande» des Etats formulée lors de la COP21, sous la pression des petits Etats insulaires, avec probablement pour ces derniers l’arrière-pensée d’établir à l’avance la responsabilité des Etats gros émetteurs. Le Giec ne pouvait s’y soustraire.

Soyons lucides : il n’est plus possible de croire au scénario à +1,5 degré. Nous sommes actuellement à +1,1 degré et, sur notre lancée, atteindrons 1,5° entre 2030 et 2040. Il n’existe aucun moyen d’y échapper sauf à réduire d’ici 2030 de 45% les émissions de CO2 au niveau mondial, et de 100% d’ici 2050, ce qui est malheureusement politiquement inenvisageable. De plus, après un arrêt complet de toutes les émissions anthropiques (gaz à effet de serre et aérosols), un réchauffement s’ensuivrait de quelques dixièmes de degré. Le +1,5° est donc déjà largement «dans les tuyaux». De même, pour rester en deçà des 2 degrés qui s’annoncent quasiment inévitables entre 2050 et 2060, les scénarii présentés s’appuient notamment sur d’hypothétiques déploiements de technologies, non matures à ce jour, capables d’extraire du CO2 de l’atmosphère ; et des techniques dangereuses pour la biodiversité comme la production massive d’électricité utilisant de la biomasse dédiée.

Ainsi, en dépit des appels au réalisme lancés par les rapports successifs du Giec depuis les années 90, on se dirige vers un réchauffement de +3° à +5° en 2100, une situation d’une extrême gravité. Un tel changement peut être décrit en termes physiques. En revanche, s’il se produit en quelques décennies, son impact sur la biosphère est nettement plus difficile à cerner : hors norme, il devient effrayant. On évoque parfois un effondrement de la démographie humaine.

 

Développement des troubles pour l’accès à la nourriture

Rappelons qu’un réchauffement de +3° nous projette dans un climat chaud qui n’a pas existé depuis près de trois millions d’années. Qu’est-ce que cela signifie ? Depuis un peu plus de 2,6 millions d’années, nous avons quitté un climat chaud établi depuis fort longtemps : se sont alors succédé sans relâche, au cours de dizaines de cycles, des climats tempérés (semblables au nôtre, où la température globale moyenne est d’environ 15°) et des glaciations (baisse de cette température d’environ 5°) bousculant sans cesse flore et faune dans leurs allers-retours. Nous «héritons» actuellement d’écosystèmes dont les espèces se sont adaptées à de telles variations. Un réchauffement de +3° nous fait sortir de ce «méta-équilibre», car au cours des cycles climatiques précédents, en période tempérée, nous avons affronté des baisses (et uniquement des baisses) de la température moyenne globale d’environ 5°, mais jamais des hausses atteignant 3 à 5°C.

Ce réchauffement ne peut être envisagé sans une profonde transformation de notre environnement local ; se déroulant sur une période aussi courte qu’un siècle, il s’assortit inexorablement d’un bouleversement de notre système de production agricole au niveau mondial. Il devient par exemple hasardeux d’envisager, en dépit de la grande compétence de nos agronomes, que nous puissions produire la nourriture requise pour 8 à 10 milliards d’êtres humains, compte tenu de l’incroyable adaptation nécessitée dans un laps de temps aussi court pour les différents écosystèmes. Quelle céréale ferions-nous croître dans l’est de la France avec des canicules pouvant atteindre, si l’on en croit des chercheurs de Météo France, les 50 à 55 degrés ? Il est inévitable que des troubles pour l’accès à la nourriture se développent en Europe comme à l’échelle mondiale et, il est très probable que seule une fraction des populations tire leur épingle du jeu.

 

Changements gigantesques

Pour lutter avec force, il faut être conscient de l’enjeu réel et non se rassurer en tablant sur des objectifs inatteignables. Il n’est malheureusement plus question que le réchauffement reste inférieur à +1,5°, ni même +2°C. Évitons cependant, quoi qu’il en coûte, qu’il ne s’éloigne trop des 2°C. Il faut aussi comprendre que la dégradation de la biosphère est inévitable, et qu’elle sera encore plus catastrophique si on atteint ou dépasse les 3°, voire les 4°. Donc, tout ce qui sera gagné pour réduire le réchauffement, même si le but espéré n’est pas atteint, représentera un gain inestimable pour l’avenir. Il ne faut pas céder au désespoir, et tout ce que nous gagnons sur les émissions de GES sera une victoire, diminuant les crises à venir. Enfin, rester en de ça de +3° implique, disons-le clairement, des changements systémiques gigantesques : c’est ce à quoi nous devons nous atteler maintenant en priorité.

Pour cela nous appelons à la constitution d’une nouvelle alliance, une «union sacrée» entre gouvernements, société civile, scientifiques, entreprises et citoyens. La gravité et l’urgence de la situation appellent, au-delà des clivages traditionnels, à réunir par-delà tous les clivages celles et ceux qui souhaitent s’engager dans la guerre climatique.

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