Un nouvel utopien à l’Université d’été

septembre 12 17:12 2018

[Parution originale : Journal en MouvementS n°5 – Mars 2018]

 

Sur le chemin du retour de l’université d’été du Mouvement Utopia, alors que je roulais seul vers Toulouse (oui, je sais, ce n’est pas très écolo, mais d’habitude Blablacar ou autres auto-stoppeurs·euses m’aident à me donner bonne conscience), je laissais mon esprit divaguer avec plaisir parmi les souvenirs tout frais de ces trois jours passés à Mandelieu – la Napoule (oui, je sais, ce n’est pas très prudent, mais… heu… bon…).

C’est Jean-Pierre qui m’a fait connaître Utopia. Un jour, chez lui, j’ai posé la main sur un bouquin des éditions Utopia ; une discussion s’en est suivie, qui en entraîna d’autres.

A ce moment-là, je voyais ce mouvement un peu comme un think-tank de gauche, qui se distinguait des autres groupes de réflexion sans pour autant que je sache définir en quoi.

Avec Jean-Pierre nous sommes adhérents à la même association de consommateurs·trices type Amap. Avec lui et d’autres membres nous avons monté une association « cagnotte solidaire » afin de permettre au maraîcher de financer par un prêt à taux zéro une partie de ses investissements et par là de faire vivre concrètement la solidarité mangeurs·euses de légumes/producteur·trice.

Je l’ai vu aussi s’engager dans les dernières législatives, non pas comme un militant politique qui veut être élu à tout prix, mais comme un candidat qui veut faire avancer des idées aussi simples et vitales que la solidarité, l’accès aux biens et droits fondamentaux, le collectif, le respect de l’autre de l’environnement, la citoyenneté. Ce que l’on pourrait regrouper sous le terme altermondialisme. Aussi quand il m’a invité à venir à l’université d’été d’Utopia la curiosité m’a fait accepter.

Je me suis alors un peu plus renseigné sur Utopia et sa maison d’édition. Via le moteur de recherche Qwant (il n’y a pas que Goo…), des noms sont vite montés sur l’écran de mon ordinateur : André Gorz, Benjamin Coriat, Edgard Morin… J’avoue que cela a un peu refroidi mon élan, non à cause des idées portées par ses grandes personnalités, bien au contraire, mais comment dire, tout d’un coup je me suis senti petit malgré mon mètre quatre-vingt-six… Et puis, qu’est-ce-que j’allais faire pendant trois jours avec des intellos ? Ils, elles sont sûrement très intéressants·es, avec de telles références il ne peut en être autrement, et leur travail est plus que jamais nécessaire à notre société, mais ils elles doivent sûrement être à mon goût un peu trop éloigné·e·s du concret de la vie quotidienne. Mais bon, je me suis engagé… j’y vais !

Le jeudi 28 septembre étant consacré aux débats, votes et amendements sur le livre collectif « Idées reçues sur la démocratie » – « Propositions », je décidais de n’arriver que le soir après dîner. Je n’avais pas réfléchi à ce que le service d’accueil du village de vacances soit fermé, mais l’organisation d’Utopia est au point. On avait gentiment récupéré la clef de ma chambre et on l’avait glissée dans le cabas d’accueil offert à chaque participant·e. Ces « intellos » sont bien organisé·e·s et ont le souci d’autrui !

Histoire de me faire une première idée, après avoir « pris possession » de ma chambre, les débats n’étant pas terminés, je rentrais dans la grande salle où ils se tenaient et m’asseyais sur les gradins surplombant les tables où se trouvait une partie de l’assemblée.

J’assistais alors à une chose rare. Après lecture d’un chapitre du livre, des amendements s’y reportant, les débats étaient ouverts. Ayant une longue expérience de militant syndicaliste, je sais que cette dernière partie peut s’avérer des plus difficiles à mener.

Fréquemment lors des conseils nationaux de mouvements, d’organisations politiques ou de syndicats, l’ardeur pour imposer les idées, les calculs d’influence, les alliances plus ou moins loyales entre différents courants faussent le débat démocratique. Ici rien de tout cela, bien au contraire !

Non seulement la volonté est que chacun·e puisse s’exprimer et exposer ses points de vue, mais une attention particulière est portée à ce que la construction soit collective. Recherche du compromis, oui, mais d’un compromis qui soit toujours conforme aux idées défendues, aux valeurs portées. Il ne s’agit pas d’aménager les susceptibilités ou les courants mais bien de construire ensemble un texte en restant fidèle aux idéaux portés par Utopia.

La démarche est souvent affichée mais ici elle est bien réelle et c’est si rare que de suite elle me saute aux yeux.

Il s’agit là d’une constance que j’ai pu vérifier tout au long de ces trois jours, que ce soit lors des tables rondes, des conférences débats ou des ateliers. Des temps forts de grande qualité non seulement due à la valeur des intervenant·e·s et participant·e·s mais aussi à un élément qui pour moi est essentiel. Portées par leurs convictions, ces personnes sont engagées dans des associations, des partis politiques, des syndicats, dans leur métier. Ils mettent leurs idéaux en pratique et les vivent. Des ‘Jean-Pierre’ quoi…

Ainsi, par exemple, j’ai pu concrètement m’en apercevoir durant ma participation à l’atelier « libre installation et circulation ». Cet atelier regroupait pour l’essentiel les participant·e·s à l’écriture collective d’un livre sur l’immigration.

Bien souvent de tels ouvrages s’appuient sur un flot de statistiques, de chiffres, de tableaux. Ici au contraire les échanges sur les thèmes abordés, les nouvelles propositions à inclure, l’argumentaire à développer, les solutions à proposer, les termes à employer tout s’appuyait sur l’expérience des un·e·s et des autres dans le cadre de leur engagement dans une association d’aide aux migrants, ou l’exercice de leur métier.

Il ne s’agissait pas de lancer des idées généreuses, mais d’élaborer des propositions justes qui répondent aux besoins fondamentaux des personnes en situation de migration en repartant bien de leur condition de vie.

La dimension humaniste du mouvement est prégnante. Elle se voit dans l’engagement des participant·e·s, elle se lit aussi dans la liste des sujets abordés lors des ateliers : migrations, culture de la paix, souveraineté alimentaire, féminisme ; dans les deux films proposés en soirée « Des lois et des hommes », « Le maître est l’enfant » ; dans des détails sur le déroulé même du programme comme ces lectures de poèmes proposés par l’un ou l’autre des participant·e·s avant l’ouverture d’une table ronde ou d’un débat. L’humain est au centre, le Buen Vivir l’objectif.

Je pourrais ainsi détailler l’ensemble de ces trois jours. Je vous invite plutôt à les vivre et venir à la prochaine université d’été.

Me voilà bien loin de « l’idée reçue » que je m’étais fait avant de venir.

Utopia m’apparaît maintenant comme un lien un trait d’union entre la société civile, le monde social, le monde politique ou intellectuel, comme un carrefour où se retrouvent des personnes de convictions et engagées, où s’élabore et se construit les bases d’une société autre.

La question ne s’est pas posée à moi, c’est plutôt l’évidence et l’envie qui m’ont poussé : j’ai adhéré ! J’ai adhéré afin de participer à mon niveau, avec mes moyens, à cette utopie qui est de changer le monde, et d’une certaine manière de relier entre eux mes engagements dans diverses associations.

Parce que l’utopie commence très exactement là où on arrête d’agir.

Denis Murat

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